Ces roues qui font l'histoire

Lundi s’est ouverte à la Cité des sciences, à Paris, l’exposition "Quoi de neuf au Moyen Âge ?".

Un article paru dans "Le journal du dimanche" remet à l'honneur Thervay grâce à la découverte archéologique suite à la construction de la LGV.

 

 

Ci-dessous l'article du journal du Dimanche :

Ces roues qui font l'histoire

Lundi s’est ouverte à la Cité des sciences, à Paris, l’exposition "Quoi de neuf au Moyen Âge ?"*. Mille ans d’histoire revisités grâce aux récentes découvertes en archéologie. Parmi elles, les moulins médiévaux de Thervay, dans le Jura, dont une maquette est présentée.

 

 

Pas de train, pas de moulins… Sans la construction de la ligne à grande vitesse (LGV) Rhin-Rhône, jamais les moulins de Thervay, dans le Jura, n'auraient été trouvés. Les archéologues de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ne les auraient pas, grâce aux sondages réalisés sur le tracé de la ligne Dijon-Mulhouse, exhumés. Or ces quelques bouts de bois parmi d'autres renouvellent notre vision du moulin médiéval.

Dans un célèbre article des Annales de 1935, l'historien Marc Bloch écrivait que "tous ceux des moulins à eau dont nous suivons, tant bien que mal, l'histoire, s'avèrent d'origine seigneuriale", liant leur usage au développement de la seigneurie à partir du XIe siècle. Mais ce constat est aujourd'hui caduc. "Le phénomène moulin n'est pas si anodin que ça avant l'an 1000", constate Gilles Rollier, de l'Inrap. Il n'est qu'à observer le site meunier de Thervay…

"De telles découvertes sont rarissimes"

C'est à l'hiver 2007-2008, dans le lit d'un ruisseau franc-comtois nommé Gravelon, que démarre l'histoire. À force de creuser, l'équipe d'archéologues dirigée par Gilles Rollier déniche, sous 1,60 mètre de sédiments, un fragment de pale de moulin. S'en suivent, et jusqu'à 2,5 m de profondeur, des bois ouvragés enchevêtrés, des pieux, morceaux d'engrenage et même, des fragments de meule. Au total, 359 éléments, travaillés, sont retrouvés. "Un corpus exceptionnel d'outils de meunerie, de pièces de charpente et de mécaniques des moulins hydrauliques, précise Gilles Rollier. De telles découvertes archéologiques de moulins du haut Moyen Âge sont rarissimes. En France, pour l'ensemble de la période médiévale, seule une quinzaine de sites ont fait l'objet de fouilles." À Thervay, deux moulins se sont succédé : l'un d'époque carolingienne, l'autre seigneurial.

Le premier, difficile à reconstituer, est un petit bâtiment de 2,40 m de côté qui repose sur quatre pieux en érable, datés par la radioactivité du carbone 14 entre l'an 680 et l'an 890. Il abritait une meule en grès d'un diamètre d'environ 80 cm. La roue verticale, de petite taille, entraînait des pales taillées d'une seule pièce (appelées monoxyles), la plupart du temps en chêne afin qu'elles supportent les contraintes mécaniques et l'humidité. Peu puissant, ce moulin est "très bien adapté aux besoins de petites communautés paysannes", constate Gilles Rollier. Abandonné vers 950, on ne sait qui en était propriétaire. Sans doute quelques familles. "Un moulin hydraulique est forcément un équipement collectif qui exige une organisation", affirme Danielle Arribet-Deroin, médiéviste à l'université Paris I et archéologue. Celui de Thervay et quelques autres, découverts ces dernières années, montrent en tout cas que ce type d'installation, modeste, a sans doute fleuri sur les rives de ruisseaux et petites rivières avant le tournant du millénaire.

Une production de 5 kg de farine par heure

Le second moulin, construit vers 1054 selon la datation dendrochronologique (à partir des anneaux de croissance du bois), ringardise le modèle carolingien. À partir des 189 pièces en bois mises au jour, les archéologues ont pu se faire une idée très précise de son allure. Sa surface au sol ? 4 m sur 2,60 m, le double ou presque du premier moulin. Sa roue ? La plus récente des quatre trouvées atteint 1,90 m de diamètre, avec une puissance double de celle du carolingien. Ses aubes (ou pales) ? Elles sont plus grandes et fabriquées avec deux pièces en chêne assemblées, alors que celles du premier étaient d'un seul tenant. Pour relier le plus solidement possible les éléments de bois, les charpentiers ont multiplié les types d'assemblages : sept différents ont été retrouvés à Thervay.

Les meules elles-mêmes ont pris du coffre. Avec un diamètre qui grimpe de 0,92 m à 1,04 m, elles permettent de produire plus de farine de froment ou de seigle. "En passant de 80 cm à 1 m de diamètre, la surface de mouture double. Un moulin comme celui-là pouvait produire environ 5 kg de farine par heure", estime Gilles Rollier. Tournant plus vite grâce à une roue plus imposante, la meule devait aussi donner une farine de meilleure qualité. "Plutôt qu'un changement de la technique même du moulin, l'archéologie nous montre qu'on a après l'an 1000, et surtout à partir du XIIe siècle, un changement d'échelle de l'installation qui permet de s'installer sur des rivières plus puissantes", note Danielle Arribet-Deroin.

Le second moulin de Thervay, disparu après 1169, est-il celui donné par le frère du seigneur de Thervay aux moines cisterciens d'Acey, mentionné dans un texte de 1136 ? Les paysans des hameaux et villages alentour devaient-ils dépendre du moulin pour moudre leur grain et faire leur pain ? On ne sait pas. Mais dans la lignée de son ancêtre carolingien, ce moulin est bien le signe du passage d'une économie locale à une économie seigneuriale ou monastique, plus régionale. 

* A la Cité des sciences du 11 octobre 2016 au 6 août 2017, tous les jours sauf le lundi. 

Richard Bellet - Le Journal du Dimanche